UN FASCINO PER LA STORIA E L ‘ ARCHITETTURA
(Une fascination pour l’art et l’architecture) Ecrit par Claude-M. Gagnon , Université Laval, Québec. Commentaire critique sur les sculptures récentes d’Alex Magrini exposées à la Strut Gallery (Sackyille, Nouveau Brunswick), du 14 au 31’mars 1989, sous le titre “Sombre’regard”
Depuis plusieurs années, les préoccupations artistiques de Magrini sont axées principalement autour de la pratique de l’installation et de la sculpture et d’une réflexion portant sur les acquis historiques et formels de l’architecture occidentale. Dans ce corpus, la référence à l’architecture intervient comme prise en charge ou réappropriation du vocabulaire architectonique transposée dans la construction d’installations et/ou de sculptures. Autrement dit, la référence aux codes de l’architecture agit, dans l’ inscription de cette production postmoderne, comme “motif”, entendu ici dans le sens panofskien du terme, et donne lieu, par l’organisation des lignes, des matériaux, des textures et des volumes et par des procédés de construction et de déconstruction, à la représentation de figures reconnais sables et identifiables telles colonnes, arcades, portiques de temples, ruines de bâtiments et structures massives d’architectures industrielles. Toutefois, ce détournement du motif architectonique ou son passage et sa saisie dans les modes de production installatifs et sculpturaux ne doit pas être perçu, lu, comme procédant seulement d’une finalité métadiscursive sur. les esthétiques architecturales : ce transcodage camoufle une intention narrative qui pourrait effectivement connoter la fascination pour des tranches d’histoire, plus ou moins lointaines, plus ou moins récentes, et réactualisées par une mise en scène de vestiges architecturaux, d’artefacts, rappelant le déroulant du temps dans les espaces culturels. Opérant sous le mode de l’allégorie, les œuvres installatives et sculpturales de Magrini se posent d’ abord comme interrogation sur l’histoire de la culture occidentale, interrogation qui passe par une relecture de moments majeurs de l’histoire de l’architecture. Ainsi, après avoir reconstitué, dans son installation « Traces architecturaies » (1984), par exemple, l’espace de l’arène antique et célébré, avec insistance, la solennité des colonnes dont use l’architecture et le monument classique, puis avoir repris ce même motif en le situant dans le contexte néoclassique qu’il voulait décrire dans l’installation “Hommage à Camille Claudel ou Ne tuez pas Rodin” (1987), Magrini affronte, par le biais de la sculpture, dans la série “Sombre regard”1 (1988), la problématique des architectures industrielles qu’il joint à celle de la représentation de formes organiques et zoomorphiques. Donc, incontestablement : remontée diachronique dans l’histoire de l’ architecture et dans l’ histoire des civilisations qui aboutit à une remise en question de l’esthétique fonctionnaliste et formaliste des hangars et usines et qui sous-tend, par l’ affirmation de figures organiques et zoomorphiques accompagnant ce propos architectural, des préoccupations d’ ordre écologique obligeant ainsi le regardeur à repenser son rapport quotidien à l’environnement.
Au milieu du XIXe siècle, l’architecture industrielle s’est imposée eu égard au développement des rapports de production dans l*économie capitaliste. L’ impact de la Révolution industrielle et l’avènement d*’une civilisation machiniste ont amené les constructeurs de bâtiments à concevoir les éléments formels distinctifs des usines autrement que dans l* ère préindustrielle où les manufactures étaient édifiées selon l’architecture classique des palais royaux et des édifices militaires, et à replanifier leur localisation. Puisque cette idéologie industrielle prenait les principes de rentabilité économique et de productivité accélérée, le souci esthétique qui prévalait toujours dans la construction des manufactures à l’époque préindustrielle fut évincé et les architectes abandonnèrent, au XXe siècle, au profit des ingénieurs, la construction des usines. Cette démission des architectes contribua à la réalisation d’une architecture industrielle fonctionnaliste, sans style précis, dépourvue de références aux critères esthétiques relevant des principaux courants contemporains, mais privilégiant les formes épurées. Le plus souvent, il s’agit donc d’édifices en hauteur, de forme cubique, démunis de fenêtres ou réduites au maximum, contenant de hauts fourneaux et de hautes cheminées, des fours et des ascenseurs et construits à partir de matériaux comme le fer, le béton, la fonte, la brique. Situées en périphéries des centres urbains, ces usines constituent des espaces clos et spécialisés associés uniquement à la productivité, espaces desquels se rapprochent de plus en plus d* ailleurs les banlieues ou les centres d’habitation qui s’ étaient mis à distance des villes. Enfin, il faut souligner que ce type d’ architecture influença plusieurs courants de l’architecture contemporaine : Gropius s’en inspira, dans les années 1910, lors de sa construction des usines Fagus, de même que Le Corbusier dans les années 1920. De la même façon, on remarquera, à la fin des années 1960, un retour vers cette forme de construction architecturale qui se manifestera par l’exhibition des poutres, systèmes de ventilation, tuyaux, etc. aussi bien dans les édifices publics que dans les vastes immeubles d’habitation communautaire .
Magrini connaît cette histoire de l’architecture industrielle : c’est justement ce processus cognitif qui lui permet de décontextualiser, de façon critique, par le recours à la citation, les caractéristiques formelles des sheds et hangars qui ont marqué la singularité des parcs industriels et de réinscrire ces données iconographiques et syntaxiques en les pervertissant dans le langage plastique de la sculpture. De plus, cette connaissance acquise des conditions socio-historiques
qui ont motivées la poussée de ces architectures oriente les dérives sémantiques que Magrini leur fait subir sur le plan de la représentation. Il ne faut pas oublier que l’acte de citer, en tant qu’opération dynamique, implique la circulation de motifs, d’emprunts syntaxiques, d’une œuvre (l’œuvre citée) à une autre (l’œuvre citante). Le plus souvent, le transfert du motif ou de l’emprunt syntaxique sélectionné occasionne une transformation sémantique, une fissure dans le sens, d’où la perversion du transcodage.
Cette perversion, ce détournement ou réappropriation des qualités structurales et syntaxiques du bâtiment industriel qui conduit la construction des sculptures de
« Sombre regard » 1 se manifeste d’abord dans le choix des matériaux et dans le rendu des textures. Acier, simili-marbre, fonte, résine, simili-granite, aluminium, dont la combinaison permet l’agencement de textures rugueuses et poreuses et d’autres lisses et douces, sont ici utilisés pour procéder à l’édification de structures des plus dépouillées et connotant, sans les reproduire exactement, celles mises en forme par l’architecture industrielle. Par l’usage de matériaux propres à cette architecture, Magrini instaure une première ambiguïté due à l’effet de la citation : celle des rapports architecture/sculpture, laquelle se trouve renforcée par la réduction d’ échelle des constructions sculpturales énonçant leur point de vue sur le phénomène de l’architecture industrielle. Sur le plan formel et celui de la représentation, on assiste donc à l’édification de propositions architecturales phalliques, dominées par l’affirmation d’une dimensionnalité et de vectorialités verticales, de même que par une structure en étagement dont la cime est souvent occupée par un motif iconique organique, zoomorphique, ou par la citation d’un autre fragment architectural. D’une part, par l’extension phallique de ces architectures/sculptures, rapprochement symbolique avec le phallus comme trace emblématique de la fécondité et de la puissance virile ; d’autre part, inscription
d’une préoccupation écologique face au rapport Nature/Culture, laquelle s’énonce par la confrontation de motifs iconiques organiques (plume ou fumée), zoomorphiques (l’ oiseau et le chien) à la représentation de ces lieux de transformation des matières premières que constituent ces architectures massives d’usinés, noircies par la fumée et dont les activités technologiques contribuent à la pollution du paysage. Mais aussi, connotation de l’origine du social et de l’histoire affective de l’égo lorsque ces propositions architecturales contiennent en leur sommet une petite maisonnette : située en hauteur comme la plume et l’oiseau, révocation de l’habitat témoigne, dans ce contexte, d’un désir d élévation, de puissance sexuelle, d’un plaisir libidinal qui travaille l’inconscient, d* où la force jouissive de la métaphore visuelle. Il arrive aussi que cette petite maisonnette soit placée à la base de la sculpture : à ce propos “zoom” ou focalisation sur une oeuvre particulière de “Sombre regard”. Description. A la base, reposant sur le sol et contre une structure rectangulaire en hauteur, une maisonnette, décorée de colonnes et munie d’une porte, tandis qu’au-dessus de la structure en hauteur se dresse une forme iconique rappelant, avec ambiguïté, l’ aile de l’oiseau. Si L’homme, montant dans l’ascenseur du sombre édifice, peut être trahit par le mécanisme qui l*amène vers le ciel et connaître la frustration de la chute, il rêve à l’oiseau et à ses ailes, lui prête des qualités magiques, en produit une figure totémique à laquelle il s’identifie, identifie son désir. L’aile, le vol, la jouissance d’un état da plénitude libéré de toute contrainte, la puissance suprême, l’extase. Le rêve de fuir cette société de surproduction, le travail inconsidéré à la chaîne, le rêve de s’évader de cet espace social noirci, clos et spécialisé. Le rêve d’aboutir ailleurs…
Exposition Sombre regard, Struts Gallery, Sackville, Nouveau-Brunswick